Une nuit, alors qu’il méditait au sommet de la tour d’Équilibre, Kael fut assailli par une vision. Non pas une illusion ni un rêve… mais une page — une seule page, flottant dans l’espace entre les mondes. Lorsqu’il la toucha, il fut projeté dans un vortex de mémoire.
Trois vérités y furent gravées.
Il n’était pas le seul Réécrivain.
Il y en avait eu un autre. Avant lui. Il avait échoué. Et c’était lui qui avait invoqué le Roi Démon à l’origine.
L’Auteur n’était pas unique.
Il existait une Assemblée des Plumes, un conseil de créateurs suprêmes. Celui qu’il affrontait n’était qu’un Observateur, chargé de surveiller une ligne narrative. Pas l’ultime autorité.
Kael n’était pas réellement mort dans son monde d’origine.
Son corps y existait encore, figé dans une stase temporelle, protégé par une entité inconnue. Un jour, il pourrait revenir — et réécrire non seulement ce monde, mais le sien.
Après sa découverte, Kael fut convoqué par le Conseil de l’Académie pour une cérémonie spéciale : l’Épreuve des Cœurs Déliés. Un rituel ancestral permettant d’identifier si un mage est sous l’influence d’un démon… ou d’un Auteur.
Seul face au Miroir de Verre-Mémoire, Kael vit toutes ses versions passées : l’enfant perdu, le conquérant, le traître, le mort. Il vit même… une version de lui-même devenu simple romancier dans son monde d’origine, écrivant l’histoire qu’il vivait maintenant.
Mais il triompha de l’épreuve. Grâce à un mot : "Non."
Il refusa d’être défini par ce qu’il aurait pu être.
Trois nouvelles élèves arrivèrent à l’Académie, toutes liées à des anomalies temporelles. Aucune d’elles n’existait dans les archives. Kael les ressentit immédiatement… comme des fragments narratifs perdus.
Neriah, une fille capable d’absorber les lignes du destin des autres.
Ilya, dont les souvenirs changeaient chaque jour — parfois, elle aimait Kael, d’autres fois, elle le haïssait.
Sarya, une élue dont la voix seule pouvait désintégrer les mensonges magiques.
Elles n’étaient pas là par hasard. Le Manuscrit Blanc vibrait à leur approche. Et Kael comprit : le récit lui-même tentait d’introduire de nouvelles pièces.
Mais pourquoi maintenant ? Et pour qui ?
Kael fut approché dans un rêve par une plume noire incandescente. Une entité se présenta comme L’Inachevé, l’un des membres déchus de l’Assemblée des Plumes.
« L’Auteur que tu combats t’empêche de devenir réel. Il craint que tu écrives jusqu’à ce que la fiction devienne la vérité. »
L’Inachevé lui proposa un pacte : fusionner sa plume avec celle de Kael, lui donnant accès à l’encre narrative pure. Kael hésita… puis accepta. Mais en cachette, il scella l’essence dans une relique oubliée.
« Je décide quand l’histoire bascule. Pas vous. »
En expérimentant ses nouveaux pouvoirs, Kael déchira accidentellement le "Fil de Réalité" de l’Académie : un axe temporel qui maintenait la cohérence magique du domaine. Conséquence : certaines journées se répétèrent, des élèves oublièrent leur identité, des objets se mirent à parler.
Le chaos faillit le démasquer.
Mais Kael, aidé de Mira et Asha, parvint à reconstituer le Fil. Lors de cette aventure, Elyra se sacrifia temporairement pour stabiliser une boucle temporelle. Lorsqu’elle revint, elle était changée. Plus distante. Plus réelle.
« Tu m’as ramenée… mais as-tu gardé la bonne version ? »
Dans une grotte secrète sous l’Académie, Kael découvrit un ancien artefact : l’Encrier des Mondes Morts. Il contenait l’essence de récits effacés, de mondes détruits, d’univers jamais publiés.
En trempant sa plume dans l’encrier, il accéda à des fragments de réalités possibles, dont une dans laquelle le Kael de la Terre écrivait une version identique de cette histoire… et disparaissait lentement à chaque chapitre écrit.
Un message y était gravé :
"Il n’y a pas de mur entre lecteur et personnage.Seulement une plume.Et une volonté."
Le Conseil de l’Académie l’annonça officiellement :
Kael devenait le Maître Scriptural Suprême de l’Académie de l’Équilibre.
Il refusa toute cérémonie. Il resta dans sa tour. Il écrivit une seule ligne dans le Manuscrit Blanc :
"Ce n’est pas la fin de mon ascension. Ce n’est même pas le milieu."
Car il le sentait. Les filles qui l’entouraient. Les versions de lui-même. Les mondes encore fermés.
Tout convergeait vers lui.
Et l’Auteur… ne parlait plus.