Le vent siffla au sommet de la Tour du Manuscrit.
Kael restait immobile, les bras croisés dans le dos, observant l’horizon voilé de brume. Elaria s’étendait sous ses pieds, majestueuse et sauvage. Pourtant, en lui, un calme étrange régnait — le silence de l’encre qu’il refusait désormais de verser.
Depuis sa prise de pouvoir à l’Académie de l’Équilibre, il avait scellé sa plume. Littéralement. Le Manuscrit Blanc reposait dans une boîte d’ébène forgée dans le Néant. Kael n’y toucherait plus… jusqu’à ce qu’il n’ait plus d’autre choix.
"Il est temps que je comprenne ce monde... non pas en le manipulant, mais en le vivant."
Les Fondations de l’Académie
En tant que Maître Scriptural, Kael entreprit de restructurer les enseignements. Il rassembla les professeurs des différentes branches de magie — Éther, Arcanisme, Élémentalisme, Invocation, Magie Rituelle — et instaura un programme interdisciplinaire. Mais il refusa tout traitement de faveur.
Il suivait les cours. Il s’entraînait. Il étudiait.Il voulait mériter son ascension.
Il passait aussi du temps avec les élèves — plus qu’avant. Et peu à peu, des liens se tissèrent, sans qu’il le cherche.
Une Romance qui Germe
Mira, la princesse de Syleen, fut la première à l’attendre chaque soir dans les jardins suspendus. Elle ne posait pas de questions, elle lui parlait de sa nation, de ses voyages dans les îles flottantes, de sa peur de perdre le contrôle du vent.
Un jour, alors qu’ils regardaient les lucioles de mana danser dans l’air :
— Tu ne manipules plus le récit, dit-elle.— J’en ai vu les conséquences.— Et moi, est-ce que tu m’as déjà réécrite ?
Kael se tourna vers elle. Son regard était grave.
— Non. Tu es la première que je refuse de modifier.
Elle rougit, et un silence doux s’installa. Pas un baiser. Pas encore. Mais l’intention naquit.
Exploration : L’appel d’Arkandor
Un mois plus tard, Kael fut convoqué par le Conseil de la Guilde des Quêtes. Une anomalie magique avait été détectée dans les Ruines d’Arkandor — une ancienne cité souterraine peuplée autrefois par les Zeryliths, un peuple mi-ombre, mi-cristal.
Accompagné de deux élèves — Asha la pyromancienne et Elyra, la fille du temps — il accepta la mission de rang S. Non pas pour l’or. Mais pour une raison plus profonde : sentir le monde réel. Risquer. Respirer.
Combat contre l’Horreur Gémissante
Dans les tréfonds d’Arkandor, ils trouvèrent une abomination : une Chimère du Néant, fusion d’anciens rois morts, d’ombres errantes, et de magie interdite. Un monstre de douze mètres, yeux multiples, gueules affamées, et paroles brisées.
Kael n’eut d’autre choix que de libérer une fraction du pouvoir du Roi Démon.Pas en le réécrivant.En l’invoquant depuis sa propre chair.
Ses bras devinrent noirs comme l’encre. Des crocs lui poussèrent. Un œil vertical s’ouvrit sur son front.Et il combattit.
Le duel fut brutal. Il fut blessé. Asha fut grièvement touchée. Elyra fut figée dans le temps… mais il triompha.
Les Répercussions
La Guilde des Quêtes publia un rapport :
"Un jeune mage, Kael d’Équilibre, a abattu seul une Chimère de rang SS dans les Ruines d’Arkandor. À moitié démon, à moitié archimage.Il est le plus grand danger… et la plus grande chance de ce monde."
Des ambassades commencèrent à envoyer des missives à l’Académie. Des rois demandèrent audience. Des nations préparèrent leurs défenses.
Kael, lui, restait silencieux.Il lisait.Il méditait.Et certains soirs… il écrivait. Non pas dans le Manuscrit. Mais dans un carnet personnel.
"Un jour, je réécrirai. Mais ce jour-là, ce ne sera pas pour me sauver.Ce sera pour sauver tout ce que je n’ai pas modifié."
Le soleil s’élevait à peine au-dessus des pics d’Asthar, teintant l’horizon d’un bleu laiteux. Dans la salle des portails de l’Académie de l’Équilibre, une mission diplomatique exceptionnelle se préparait.
Kael, désormais célèbre à travers Elaria, avait été invité par le Conseil des Cinq Races Originelles, les fondations vivantes du monde : les Elfes de Lysnara, les Nains de Skuldheim, les Ondins de Myralis, les Zeryliths survivants, et les Drathir, dragons métamorphes à l’intelligence oubliée.
Un pèlerinage vers l’ancien monde
L’objectif ? Négocier l’ouverture des archives interdites et établir un pacte de savoir partagé entre l’Académie et les peuples anciens.
Mais rien n’était simple à Elaria.
Kael fut désigné comme représentant unique, non pour son titre, mais pour sa double nature : porteur de l’Éther… et fragment du Néant.
« Tu ne peux espérer comprendre ce monde sans entendre ses véritables voix, Kael. Et parfois, ces voix ne parlent pas, elles chantent. »— Sareth, le vieux bibliothécaire aveugle.
L’elfe aux racines oubliées
Kael fut accueilli en premier à Lysnara, la cité florissante des elfes. Là, sous les grands arbres aux feuilles chantantes, il rencontra Silariel, une elfe archiviste au regard perçant.
« Tu sens comme une note dissonante dans la mélodie d’Elaria. Mais ce n’est pas forcément mauvais. Parfois, une dissonance révèle un nouvel accord. »
Silariel guida Kael à travers les Mémoires Vivantes, un jardin de souvenirs cristallisés. En touchant certains, Kael fut plongé dans des visions : guerres antiques, pactes brisés, trahisons célestes…
Une vision l'ébranla : lui-même, assis sur un trône de mots, contemplant des mondes s’effondrant sous son regard.
« C’est une possibilité, pas une certitude, » murmura Silariel.« Mais elle existe. Et les elfes n’oublient jamais les possibles. »
L’abîme de Skuldheim
Chez les nains, dans les mines titanesques de Skuldheim, Kael affronta un rite ancien : le Jugement de la Pierre.
Il dut affronter un golem d’obsidienne dans un duel magique, sans incantation verbale — uniquement par volonté brute et maîtrise du mana. Un test de discipline, pas de puissance.
Kael réussit… à peine. Il s’effondra après la victoire, épuisé. Le vieux roi nain, Tharam Forge-Monde, l’aida à se relever.
« On dit que tu peux tout réécrire. Mais ce que tu as fait aujourd’hui, tu ne l’as pas écrit. Tu l’as gagné. Et ça… ça mérite plus de respect que toutes les légendes. »
L’éveil des sentiments
De retour à l’Académie, Mira l’attendait, inquiète. Il lui raconta ce qu’il avait vu, ressenti, combattu.
Elle le serra dans ses bras sans un mot.
Cette nuit-là, dans les jardins, ils s’embrassèrent pour la première fois — doucement, sans tension ni passion surnaturelle. Un baiser humain. Vrai.
« Si un jour tu changes le monde, promets-moi une chose, Kael… »« Laquelle ? »« De ne pas nous changer, nous. »
L’alerte des Ombres Grises
À peine quelques jours plus tard, une alerte d’urgence secoua l’Académie : un hameau reculé avait été attaqué par des créatures sans nom, semblables à des spectres liquides, capables d’effacer la mémoire des vivants.
Kael, avec une escouade de jeunes mages, se rendit sur place.
Ils affrontèrent les Silences Dévoreurs, entités venues d’un plan voilé, et Kael comprit : ce n’était pas un monstre. C’était un résidu de son ancienne réécriture.
Un fragment d’histoire non stable, échappé de son ancien manuscrit.
« Chaque mot que j’ai un jour écrit, même effacé… existe quelque part. »
Le monde se souvient de lui
À son retour, des journaux l’attendaient. Des statues furent érigées dans deux grandes villes. Des académies rivales demandèrent des alliances.
Même le roi de Thalara, capitale continentale, invita Kael à un sommet international.
Mais Kael refusa pour l’instant.
« Je n’ai pas encore fini d’apprendre. Je suis fort… mais pas prêt. »
Les rayons du matin n’avaient pas encore dissipé les brumes sur les Hautes-Terres lorsque Kael reçut un message scellé par un sceau qu’il n’avait jamais vu auparavant : une spirale inversée, enfermée dans un cercle d’argent vivant.
Ce n’était ni royal, ni académique. C’était plus ancien. Plus profond.
« À l’Archimage du Néant et de l’Éther,Vous êtes convoqué à la Mer de Cristal,Là où le Temps cesse de compter.La dernière Oratrice vous attend. »
Personne, pas même les professeurs les plus érudits de l’Académie, ne connaissait ce nom : Mer de Cristal. Pourtant, Kael le ressentait… dans son sang, dans ses rêves, dans le silence entre les mots.
C'était un appel du monde lui-même.
Un voyage vers l’oubli
Accompagné d’un petit groupe choisi, composé de Mira, Elyra (toujours persuadée d’être sa fiancée d’une ligne temporelle alternative), et Asha, Kael traversa les Terres Miroirs et les forêts de Sorneil.
Sur le chemin, ils affrontèrent une nuée de chimères de sables, échappées d’un gouffre antique. Kael, refusant cette fois d’écrire leur défaite, mobilisa uniquement sa magie, mêlant sortilèges du feu, runes anciennes et les ondes destructrices de l’Éther noir, trace du Roi Démon.
Il fut blessé au bras gauche.
« Tu as refusé la facilité, » dit Asha, en cautérisant la plaie à mains nues.« Parce que je dois savoir ce que vaut ma magie seule. Pas mon pouvoir sur l’histoire. »
La Mer de Cristal
Enfin, après douze jours de marche, ils atteignirent un rivage figé.
La mer, immobile, faite de cristaux translucides. Pas un seul souffle de vent. Le temps semblait s’être figé ici, comme si ce lieu ne dépendait pas des lois d’Elaria.
Au centre de l’horizon flottait une île minuscule, suspendue, semblable à une goutte d’encre figée.
Une voix s’éleva sans bruit :
« Tu es venu, Kael du Manuscrit Inversé. »
Une silhouette apparut : une femme aux cheveux argentés flottants, sans âge, ses yeux scintillant comme des galaxies mortes. Elle était l’Oratrice des Abysses, dernière survivante des Scribes Originels — ceux qui avaient conçu le premier monde d’Elaria, bien avant même les Gardiens de l’Éther.
La vérité cachée
Elle l’invita dans un sanctuaire de silence. Là, dans une stase de mots suspendus, elle révéla une vérité vertigineuse :
« Tu n’as pas été convoqué par erreur. Tu es né du fragment d’un récit effacé. Un rejet d’une version que l’Auteur a tenté d’abandonner… mais qui a survécu.Tu n’es pas un personnage.Tu es une anomalie qui a refusé d’être oubliée. »
Kael, troublé, réalisa : ce n’était pas lui qui écrivait l’histoire. Il était l’histoire qui se réécrivait pour exister.
Un pacte et un avertissement
L’Oratrice lui tendit un fragment : un éclat de la Plume Primordiale, capable d'écrire non seulement la fiction, mais les lois du réel.
Mais elle le prévint :
« Si tu l’acceptes, tu ne pourras plus jamais vivre simplement. Tout ce que tu écriras engendrera un prix, quelque part, dans n’importe quel monde.Même… dans celui d’où tu viens. »
Kael prit le fragment. Il n’écrivit pas. Pas encore.
« Je ne veux pas changer le monde. Je veux d’abord le comprendre. »
De retour à l’Académie : Un monde qui observe
À son retour, Kael découvrit que ses compagnons avaient changé : Mira était plus distante. Asha plus protectrice. Elyra, elle, semblait… troublée, comme si quelque chose en elle s’était inversé.
Les regards des autres élèves avaient aussi changé. Certains s’agenouillaient. D’autres le défiaient du regard. Des lettres de plusieurs capitales étaient arrivées, demandant des alliances, des mariages, des pactes magiques…
Kael, lui, restait concentré. Il reprit ses entraînements, perfectionna son contrôle de l’Éther et du Néant, organisa des expéditions vers les ruines draconniques avec ses élèves, protégea des villages d’assauts spectraux.
Il devint un héros. Mais il voulait rester un élève.