Le lendemain de son retour à l’Académie, Kael fut convoqué par la directrice Lyséandra, une archimage dont la peau mi-humaine, mi-éthérique, brillait de runes antiques. Son regard perça celui de Kael comme si elle lisait directement dans la trame de son âme.
— « Tu as changé le monde, Kael. Tu le ressens, n’est-ce pas ? »
Il acquiesça silencieusement.
— « Les royaumes sont nerveux. Très nerveux. Nous devons faire attention. »
Kael n'était pas surpris. Il savait que l’éveil de ses ailes noires ne pouvait pas rester sans conséquences. Mais ce qu’il ignorait, c’est qu’à cet instant, quelqu’un d’autre venait de franchir les portes de l’Académie.
Elle s’appelait Nyssara Velmire.
Ou plutôt… c’est ainsi qu’elle se présentait.
Brune aux yeux d’argent, silhouette élégante, une aura presque trop parfaite. Elle se disait originaire de la République de Nyveth, une contrée neutre à la frontière des terres magiques et des empires technomanciens. Son dossier était irréprochable. Ses recommandations, signées par deux souverains.
Mais ce que personne ne savait… c’est qu’elle n’existait pas trois mois plus tôt.
Nyssara était un Miroir, un agent mimétique du Conseil, capable de façonner son identité à partir des souvenirs arcanes d'autres individus. Elle n’avait qu’un objectif : étudier Kael, déterminer l’ampleur réelle de sa menace, et surtout… trouver ses faiblesses.
Kael la rencontra dans les jardins suspendus de l’Académie, là où l’éther dansait au-dessus des bassins comme de fines plumes cristallines.
— « Tu es Kael. Le démon aux ailes noires. »
Il haussa un sourcil.
— « Et toi ? Une autre noble curieuse ? »
Elle sourit, sans ciller.
— « Je suis une contradiction. Une question déguisée en réponse. Et je suis ici pour t’observer. »
Il plissa les yeux. Elle ne mentait pas. Pas directement. Et c’est précisément ce qui le dérangea.
— « T’approcher de moi pourrait être dangereux. »
— « C’est ce que j’espère. »
Ils se quittèrent sans un mot de plus.
Mais pour Kael, un doute naquit : il la sentait… floue. Comme si la trame du monde refusait de la décrire avec précision. Une anomalie dans une réalité qu’il croyait maîtriser.
Durant les jours suivants, Nyssara s’intégra naturellement. Elle excellait dans chaque cours, surpassant même certains professeurs. Elle observait Kael constamment, notait ses habitudes, ses silences, ses regards vers Asha ou Mira, ses hésitations à utiliser son pouvoir de narration.
Elle découvrit que Kael évitait désormais de modifier le récit. Il semblait craindre les conséquences. Au lieu de cela, il s’entraînait durement, notamment avec des créatures scellées dans l’Arène du Néant, un endroit que même les archimages redoutaient.
Il rassembla ses alliées : Elyra, la fille hors du temps, et Asha, l’héritière des flammes antiques.
— « Quelque chose cloche avec cette Nyssara. Elle est trop parfaite. Trop fluide dans la trame. »
— « Tu crois que c’est un agent du Conseil ? » demanda Elyra.
Kael hocha la tête.
— « Et je vais lui tendre un piège. »
Kael utilisa un ancien rituel : le Reflet Inversé. Une illusion scripturale qui remplaçait sa réalité par une version altérée… uniquement visible pour ceux qui tentaient d’interpréter le récit.
Nyssara fut piégée.
Elle le vit échouer volontairement à un duel. Le vit déclarer ses sentiments à une étudiante mineure du cursus. Elle vit… des fragments qui n’étaient pas vrais. Et elle nota tout. Transmit tout.
C’était le test.
Et Kael l’attendit, au sommet de la Tour d’Éther, une nuit sans lune.
— « Tu as mordu à l’hameçon. »
Nyssara apparut, l’œil légèrement agrandi, sa voix changée.
— « Comment… ? »
— « Tu pensais espionner un garçon. Tu n’as jamais réalisé que je te lisais comme un livre dès le premier jour. »
Il s’approcha, les ailes noires se déployant lentement.
— « Tu peux retourner au Conseil et leur dire : je ne suis pas un danger. »
Il marqua une pause.
— « Je suis l’inévitable. » Et pourtant… il ne la tua pas.
Il la laissa partir.
Parce que Kael ne voulait pas régner par la peur.Il voulait que le monde choisisse de le suivre.Par loyauté, ou par amour.
Mais quelque part, dans une salle secrète du Conseil, les alarmes runiques s’activèrent.Et une phrase fut inscrite en lettres brûlantes sur leur table de réunion :
“Le Démon sourit.”
L’aube se leva sur l’Académie de l’Équilibre, peignant les tours de lumière dorée. Kael, debout dans l’un des plus hauts observatoires, observait l’horizon. Depuis son affrontement au tournoi des Archimages, le monde entier parlait de lui. Des lettres venues des quatre continents s’amoncelaient sur son bureau : invitations diplomatiques, propositions d’alliance, et même… des menaces voilées.
Mais ce matin-là, ce fut un ordre de mission spécial qui l’attendait. Envoyée directement par le Conseil du Monde, l’enveloppe scellée portait le symbole du Triskèle Nordique — trois crocs de glace entrelacés, emblème du royaume glacial de Yssgarheim.
« Kael d’Elaria, détenteur du Pacte Scriptural et champion du dernier tournoi,L’ancienne forêt de Feryndhal s’éveille, et avec elle, une corruption inconnue.La Garde Blanche a échoué à contenir les entités. Les esprits sylvestres sombrent dans la folie.Nous implorons votre aide. »
Kael accepta sans hésitation. Non par devoir, mais par instinct : quelque chose l’appelait là-bas, un écho ancien qu’il ne comprenait pas encore.
Trois jours plus tard
Le territoire d’Yssgarheim s’étendait au-delà des montagnes du givre, là où le vent chantait dans des langues oubliées. Kael, accompagné d’Elyra (la fille du temps), et d’Asha (maîtresse du feu), traversa la passe des Lames Gelées.
La forêt de Feryndhal, sanctuaire des elfes crépusculaires, n’était plus que l’ombre d’elle-même. Les arbres aux feuilles d’argent pleuraient de la sève noire. Des créatures difformes rampaient entre les racines, anciennes dryades devenues cauchemars.
— "La magie ici est brisée," murmura Elyra en effleurant une branche. "Quelqu’un... ou quelque chose, a modifié la structure du Leyline."
Kael, sentant une tension familière dans l’air, comprit : ce territoire avait été… réécrit.
Mais pas par lui.
Au cœur de Feryndhal
Dans le sanctuaire central, un ancien cercle druidique battait comme un cœur blessé. Là, ils découvrirent une silhouette immense et déformée : un ancien roi elfe devenu spectre de corruption, prisonnier d’un artefact : la Couronne d’Encre, forgée dans un monde qui n’existait plus.
Kael affronta la créature, invoquant les ailes noires du Roi Démon, mais la créature se nourrissait de sa propre écriture.
— "Tu n’es pas le seul à avoir découvert le Script, Kael d’Elaria," siffla-t-il dans une langue de papier froissé. "Le monde est plus vaste que tes lignes."
Le combat fut brutal. Kael faillit perdre Elyra dans une fracture dimensionnelle, et Asha brûla la moitié de la forêt pour sauver leur retraite. Finalement, Kael utilisa une ancienne version du sort "Réduction de Scène", enfermant l’arène dans une boucle figée. Le spectre disparut, mais l’avertissement restait.
Au retour
Yssgarheim leur offrit une audience solennelle. Kael, désormais traité comme un Arbiter des Frontières Scripturales, obtint un titre honorifique dans le Nord.
Mais surtout… le monde comprit que Kael n’était plus simplement un prodige. Il était un facteur d’équilibre… ou de destruction.
Et quelque part, dans les ombres d’un autre royaume, une silhouette encapuchonnée, plume à la main, nota sur un grimoire :
"Kael avance. Trop vite. Il faut activer la Clause du Vrai Auteur."
À suivre...