Les jours avaient passé depuis la vision dans la Tour des Reflets. Mais Nix n'était plus le même. Le fragment de cristal, désormais noirci, ne vibrait plus — mais il avait laissé en lui une onde étrange, un murmure constant dans l'arrière de son esprit.
Et puis vinrent les secousses.
La terre elle-même semblait pleurer. Des failles s'étaient ouvertes dans les fondations de l'Académie. Le ciel était devenu pâle, comme si même la lumière hésitait à poser un regard sur ce qui arrivait.
Un message arriva à l'aube. Une brèche s'était ouverte dans l'Arche des Silences, une ancienne prison conceptuelle. Quelqu'un — ou quelque chose — en était sorti.
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L'Ennemi : Nihël
Il s'appelait Nihël.
Il n'avait pas de vraie forme. Son corps semblait fait de cendres suspendues, oscillant lentement dans l'air comme une pensée abandonnée. Son visage était masqué d'un voile noir, sans contour, et sa voix résonnait en arrière-écho, comme si elle s'adressait à vous… après que vous l'ayez entendue.
Nihël ne manipulait pas seulement le vide : il était le vide intentionnel. Là où Vel'Zaruun avait voulu cesser de souffrir, Nihël avait choisi d'effacer toute trace de sens. Il ne voulait pas se détruire, mais détruire la mémoire du monde.
Lorsqu'il entrait dans un lieu, les noms disparaissaient. Les symboles s'effaçaient. Les sorts oubliaient leur effet.
Et maintenant, il venait pour Nix.
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Le Combat
La salle circulaire de l'Arche était dévorée par le silence. Lira avait tenté de retenir Nix, mais il était le seul à pouvoir affronter ce qu'il ressentait : une négation vivante. Là où Zaruun pleurait son monde, Nihël l'avalait.
Nihël flottait à quelques mètres, sa silhouette ondulant comme une flamme inversée.
> "Tu es porteur d'idée," souffla-t-il. "Moi, je suis ce qui efface. Donne-moi ton nom. Je le dissoudrai doucement."
Nix ferma les yeux. L'angoisse l'envahissait déjà. Ses souvenirs vacillaient. Il ne sentait plus la texture du sol, ni l'odeur de l'air. Il se souvenait à peine du visage de Lira.
> Non. Reviens.
Il posa la main sur son cœur. La V7 vibra. Une onde douce mais ferme traversa son esprit.
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Pilier I — L'ÉPURE
Il fouilla dans sa mémoire… trouva un souvenir pur : celui d'une nuit, jeune, couché dans l'herbe, regardant les étoiles et croyant encore au bien.
Il transforma ce souvenir en une sphère de lumière claire, qu'il jeta dans l'air.
La lumière perça le voile de Nihël. Des lignes nettes apparurent. Le monstre se cabra. L'espace lui devenait soudain tangible. Il saignait des pensées.
> "Tu ne peux pas m'éclairer… je suis la fin des formes !"
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Pilier II — LA TRAME
Nix enchaîna.
Il fusionna l'angoisse actuelle avec l'idée d'un battement de cœur. Puis, il y ajouta la mémoire d'un nom crié dans un cauchemar : le sien.
Et de ces éléments, naquit une créature-tambour, massive, battant l'air d'un pouls régulier. Chaque battement ramenait une pensée, un souvenir, une trace de soi.
Nihël hurla. Son corps tenta de se diviser, de fuir dans mille directions… mais la Trame le forçait à rester entier. Il devenait un être fixe, un nom figé.
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Pilier III — LE SCEAU
Nix posa le genou à terre.
Il pensa à tout ce qu'il avait douté de lui-même. À tous les moments où il aurait voulu disparaître.
Il grava ce doute dans un sceau cristallin, un miroir incurvé, luisant doucement.
> "Je ne te détruirai pas. Tu es ce que je pourrais devenir."
Il lança le sceau, qui toucha Nihël au cœur. La créature cessa de se mouvoir. Son voile se fissura.
Et dans un murmure presque humain, elle prononça :
> "...merci."
Puis elle fut scellée. Pas effacée. Conservée. En mémoire.
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Silence
Tout redevint calme. Le monde retrouva ses contours. Le vent recommença à souffler.
Nix tenait le miroir contre sa poitrine.
Il venait de comprendre que le vide ne pouvait pas être vaincu par la force.
Mais par la forme.
Par l'acte même de se souvenir, de créer, d'aimer.
Et quelque part, dans les ruines d'un sanctuaire oublié, Vel'Zaruun rêva.
Un rêve… de lumière.
Le miroir pulsait faiblement contre la poitrine de Nix. Non pas avec violence, mais comme un souvenir insistant. Une vibration qui ne voulait pas s'éteindre.
Lira, silencieuse, vint le rejoindre dans les décombres. Elle posa sa main sur l'épaule de Nix, et il n'eut pas besoin de mots. Elle avait vu, ressenti. Le monde avait frôlé l'effacement — mais une chose demeurait : lui.
> "Tu as vu quelque chose dans la Tour, n'est-ce pas ?"
"Un sanctuaire. Ou ce qu'il en reste. Je crois… qu'il m'appelle."
Le chemin n'était tracé sur aucune carte. Il passait par des zones oubliées, des fragments d'espace flous où les arbres semblaient hésiter à pousser, où les rivières coulaient à rebours dans le silence.
Nix et Lira traversèrent des lieux où le langage échouait. Il ne restait que les sensations brutes, les échos du monde d'avant Nihël.
C'est au bord d'un lac sans reflet qu'ils le virent : le Sanctuaire d'Éclats.
Autrefois immense, il n'en restait qu'un dôme effondré, des colonnes inclinées vers le ciel comme des prières brisées. Au centre, une dalle noire, marquée du symbole ancien de l'Ordre des Gardiens de Trame.
En approchant de la dalle, Nix sentit un souffle — mais ce n'était pas du vent. C'était une mémoire vivante, piégée dans la pierre.
> "Entrez," dit une voix sans bouche.
"Je suis ce qui fut. Je suis Vel'Zaruun."
Lira recula, mais Nix avança.
Il toucha la dalle.
Il fut projeté dans un espace intérieur, hors du temps. Là, Vel'Zaruun se tenait, ou plutôt, son ombre lumineuse.
Le titan déchu ne pleurait plus. Il regardait.
> "Tu as vaincu le Vide sans violence. Tu as trouvé ce que moi, j'ai oublié : l'oubli n'est pas un remède."
> "Pourquoi moi ?" demanda Nix.
Vel'Zaruun tendit la main. Elle tenait un éclat — fragment d'un monde ancien, brisé par la volonté de tout effacer.
> "Parce que tu portes encore l'idée que la forme mérite d'exister, même si elle souffre."
Le fragment fusionna avec le miroir de Nix.
Une lumière claire l'enveloppa. Les piliers en ruine du Sanctuaire se redressèrent brièvement, comme tirés d'un rêve, puis retombèrent, mais différemment : harmonieux dans leur chute. Comme si même les ruines pouvaient contenir la beauté.
Vel'Zaruun s'éteignit, libéré.
Et Nix comprit.
Le combat à venir ne serait pas contre un être, mais contre l'érosion du sens.
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Épilogue : Le Feu sous la Cendre
Dans les jours qui suivirent, Nix resta silencieux.
Il ne parlait pas du fragment, ni du miroir, ni de la voix de Vel'Zaruun. Mais chaque nuit, il écrivait. Des mots simples. Des images. Des souvenirs.
Et chaque mot était un clou dans le cercueil du néant.
Car tant qu'il écrirait, tant qu'il se souviendrait, Nihël resterait scellé.
Mais dans l'ombre du monde… une autre entité s'éveillait.
Quelqu'un lisait ce que Nix écrivait.
Quelqu'un… qui se souvenait de l'avant-Vide.